Écrit par : Bastien Pignolet Le : 12 septembre 2020 Catégorie : Réfléxions

Si ce livre se lit presque comme un roman, la véracité des faits évoqués sont elles, bien réelles et ancrées dans notre monde. Ce qui en fait – au sens littéraire du terme – un drame, un drame de société qui a occupé les dix dernières années. Christophe Wylie n’est autre que le concepteur des outils de Cambridge Analytica, l’entreprise britannique financée par des fonds américains de proches du parti républicain qui a ouvertement influencé le vote sur le Brexit, l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis mais aussi d’autres dossiers en Afrique ou encore le massacre des Rohingyas au Myanmar…

Petit mot sur l’auteur…

Ce livre est la confession de Christopher Wylie, c’est sa rémission pour essayer de se pardonner ses actes, mais aussi pour expliquer au grand public comment tout ce qui est techniquement possible se réalise. L’auteur démonte, presque au prix de sa vie, en détail, preuves à l’appui les mécanismes utilisés par Cambridge Analytica et implique clairement des personnes dans le succès des pro-Brexit ou encore de Donald Trump lors de son élection.

Cambridge Analytica, ou le géant de la désinformation

Cambridge Analytica et les entreprises gravitant autour de ses fondateurs sont le point commun entre Brexit et élections américaines, dont les influences russes. Cette organisation avait fait sienne un « nouvel art de la guerre » à travers la désinformation d’abord puis ensuite avec l’usage du digital sous toutes ses formes. Cambridge Analytica (qui n’a rien à voir avec l’Université de Cambridge, mais qui a usurpé également cette appellation) a rassemblé les meilleurs experts de l’IT, du Web, de la politique, de la psychologie et de la sociologie, avec une solide dose de méthodes quantitatives et d’études de marchés pour mener de réelles guerres sans aucun respect d’une quelconque éthique. Seul l’objectif comptait.

La société travaillait pour tous les clients qui pouvaient se permettre de payer le prix demandé. Après s’être essayé à cet art de la guerre en Afrique pour renverser des dictatures et contribuer à mettre d’autres dictateurs en place, la question est venue de savoir dans quelle mesure des méthodes comparables pouvaient être mises en place pour des élections dites « démocratiques ». Cambridge Analytica a rapidement ciblé l’occident : la Grande-Bretagne et le vote pour ou contre le Brexit, puis, l’élection présidentielle aux Etats-Unis, pour chercher à vaincre les démocrates après huit années de règne démocrate avec Obama.

Le rôle de Cambridge Analytica dans la campagne de Trump

Christopher Wylie explique en détail comment, avec « l’alt-right américaine » et Steve Bannon en tête, les chercheurs de Cambridge Analytica ont parcouru l’Amérique profonde à la recherche du positionnement de la campagne de Trump. Cambridge Analytica a utilisé l’API de Facebook pour créer de faux jeux et concours pour créer une base de données des électeurs américains qui soit statistiquement représentative. A l’époque, lorsqu’un utilisateur Facebook donnait son consentement à l’accès de ses données pour obtenir une App de jeu quelconque, il donnait indirectement accès à tous son réseau d’amis avec les mêmes droits. Donc, avec 150 amis en moyenne, une seule autorisation donnait accès à 150+ profils et toutes les données associées. Au total, ce ne sont pas moins de 85 millions de comptes Facebook dont les informations ont été détournées. En plus, aux Etats-Unis, il est possible d’acheter les données d’assurance maladie, d’institutions financières et donc de créer une base de données de profiling absolument considérable et performante. C’est ce que Cambridge Analytica a réalisé, avec des moyens en dehors de toute éthique.

En parallèle, en fonction de la répartition géographique du nombre de grands électeurs et de la segmentation de ses bases de données, Cambridge Analytica a entrepris un tour des Etats-Unis à la rencontre des citoyens, souvent de l’Amérique profonde, emmenée par les représentants locaux du parti républicain. C’est avec des groupes de discussions et d’autres méthodes d’études qualitatives sur le terrain que Cambridge Analytica a constaté qu’un ressentiment existait toujours chez une frange de cette Amérique rurale et profonde, avec une mélancolie d’une Amérique forte, blanche et puissante. Il n’y avait plus qu’un pas pour identifier les autres sources de ressentiment latent auprès de ces segments d’électeurs. En combinant cela avec une extraordinaire base de données, sous-segmentée précisément et parfaitement profilée, les experts psycho-sociologiques de Cambridge Analytica ont créé des messages personnalisés dans une véritable story-telling visant à libérer tous ces ressentiments et colères, de désinhiber l’Amérique profonde pour qu’elle voit dans Donald Trump un homme qui allait leur rendre leur Amérique d’antan…

Il ne restait plus qu’à établir le plan de communication, via Facebook, via email (époque du hack de yahoo) et à grand renfort de pubs Google pour changer les mentalités et passer au niveau d’actions individuelles, personne par personne. Quand on sait que quelques milliers de votes, dans chaque Etat peuvent parfois faire la différence, les statisticiens ont localisé les régions où effectuer les efforts. Et Donald Trump a été élu sur un fond de commerce attisant la haine.

Au début de son livre, Christopher Wylie cite Victor Hugo : « On résiste à l’invasion des armées ; on ne résiste pas à l’invasion des idées ».

Que faire pour éviter un nouveau Cambridge Analytica ?

C’est effrayant de réaliser que ce qui aurait pu faire l’objet d’un roman de science-fiction est en réalité un fait de notre histoire contemporaine. En guise d’épilogue, Christopher Wylie conclut sa confession en proposant aux régulateurs des pistes pour éviter la prochaine Cambridge Analytica. Démanteler la société n’empêchera pas une autre de prendre le relais pour faire de même et manipuler à nouveau la démocratie. Cela tient en quelques points essentiels, sur quatre axes :

  1. Un code déontologique de la conception pour tout ce qui est sur Internet, comme le « privacy by design » européen (qui n’a pas empêché de falsifier les élections sur le Brexit), ou un « Agency by design » dans le but de laisser le choix au consommateur en mettant en avant un principe de prévention des dommages,
  2. Une charte déontologique pour les IT qui codent les applications. Les codeurs doivent développer une éthique forte pour refuser de développer des applications qui iraient à l’encontre de la démocratie ou du bien public,
  3. Faire en sorte que les « utilities » d’Internet travaillent au bien commun, par opposition, dans une certaine mesure à l’archi-dominance des GAFAS. On retrouve ici des concepts, encore à développer, de nationalisation de certains services clés ou de démantèlement de positions dominantes,
  4. La création d’une agence de la réglementation numérique pour faire appliquer un cadre réglementaire proche du bien commun et au service des consommateurs, et pas l’inverse. La réglementation ne doit pas être forgée par la technologie, mais bien par des principes qui dépassent la technologie.

La frontière floue entre numérique et protection de la vie privée

Aaron Swartz avait déjà prédit l’impact des technologies digitales sur la formation des opinions et les risques pour la démocratie. Cambridge Analytica a rendu ce risque réalité. Cela doit une nouvelle fois nous faire prendre conscience que tout ce qui est technologiquement faisable et est susceptible d’être rentable pourra être fait ou a déjà été fait … Protéger la vie privée est un moyen de réduire ce risque. Christopher Wylie ajoute que rendre la technologie plus déontologique et éthique est nécessaire, de même que créer une agence globale de supervision du numérique (comme il en existe pour les banques, dans une certaine mesure).

Enfin, et ce sujet est à l’ordre du jour sur la plupart des continents, le démantèlement des positions dominantes réduira aussi les risques. C’est intéressant de voir que le sujet vient sur l’agenda politique des Etats-Unis, celui de la Commission européenne et même du gouvernement Chinois qui s’intéresse à la position dominante des sociétés de Jack Ma, Alibaba et Ant. Au moment où les crypto-monnaies voudraient devenir une alternative à la monnaie contrôlée par les banques centrales…

L’avis de The Right Move

Un livre ô combien important, soulevant de nombreuses questions et réflexions qu’il est plus que jamais essentiel de se poser à notre ère. Dans notre comportement global vis-à-vis du digital, comme consommateur, mais aussi employeur… À dévorer pendant le confinement, si vous ne l’avez pas encore lu.

Christian Janfils

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L'auteur

Bastien Pignolet, Community manager The Right MoveBastien Pignolet

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