Écrit par : Bastien Pignolet Le : 3 juin 2019 Catégorie : Réfléxions

Comment Internet modifie-t-il nos façons de vivre depuis son apparition ? C’est la question que 3 auteurs français, enseignants et chercheurs universitaires en sociologie, ont logiquement décidé de se poser à travers leur livre « Sociologie d’Internet ».

Cela faisait maintenant un moment que nous cherchions un ouvrage cohérent et scientifique afin d’évoquer ce sujet primordial de notre société ; nous pensons bien l’avoir trouvé.

Introduction

Pour le point de vue d’un sociologue, Internet est à la fois un défi théorique et méthodologique. Méthodologiquement, il offre de nouvelles possibilités d’étudier le comportement et de réaliser des enquêtes de manière bien plus simple. Tandis que sur le plan théorique, le sociologue tente de comprendre de façon plus claire l’impact réel d’Internet sur le fonctionnement profond des mondes sociaux avec les questionnements pertinents. La question de savoir si ce n’est qu’un effet de mode ou un vrai bouleversement dans nos vies semble la plus évidente à se poser depuis l’apparition d’Internet.

Et même si la réponse peut sembler désormais évidente , les 3 auteurs (Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral et Sylvain Parasie) tentent néanmoins tout au long du livre d’y voir plus clair et de ne pas préjuger d’une réponse trop hâtive. Il y a en effet des échanges et influences réciproques entre la technique et le social et il a fallu attendre avant que la sociologie s’intéresse réellement à Internet et aux transformations opérées avec son usage. La sociologie d’Internet se développe globalement depuis une cinquantaine d’années désormais, au carrefour de 3 domaines d’études : la communication, la technique et les médias.

Quel impact a Internet sur les sociabilités ?

Après une introduction quelque peu historique sur l’arrivée de ce phénomène, les auteurs ont d’abord décidé de s’intéresser à la relation qui peut exister entre Internet et sociabilités. Le sociologue doit de ce fait s’interroger sur 2 aspects pour tenter de répondre à la question de l’impact réel d’Internet sur ce sujet :

  1. De quelle façon les interactions et la communication en ligne sont rendues possibles ? Sur Internet, une place importante est laissée tout d’abord à l’écrit et à l’entraide technique (communautés informatiques). La porte est de ce fait ouverte pour la co-production de la connaissance et du lien social. Les pages et blogs personnels du début des années 2000 en sont le parfait exemple, eux qui ont laissé la place dans une large mesure aux réseaux sociaux, dont Facebook pour le plus évident et populaire d’entre eux. L’identité numérique retrouve alors progressivement l’identité civile, ce qui a amené de nouveaux comportements. Facebook est ainsi un exemple du paradigme où comme le soulignent les auteurs « Une forme d’identité narrative est privilégiée à travers … textes, photos et activités … au vu et su d’amis susceptibles de pointer incohérences et mensonges ».
  2. Qu’est-ce qu’Internet implique pour le « capital social des individus » ? ici, à nouveau, les auteurs naviguent entre une approche où les relations en ligne seraient séparées des relations hors ligne et à l’inverse, une approche où les deux seraient calquées l’une sur l’autre. Globalement, les travaux récents poussent à croire qu’Internet augmente la sociabilisation des individus les plus utilisateurs d’Internet.

Internet renouvelle-t-il les pratiques culturelles ?

Si l’accès à la culture est en croissance depuis le début des années 2000, il n’est pas si évident de lier cette hausse directement à l’arrivée d’Internet. Cependant, avec Internet et les technologies digitales, les 3 auteurs suggèrent l’hypothèse qu’un plus grand nombre d’œuvres culturelles trouvent de nouveaux publics mais que dans l’autre sens, le succès ne se concentre que sur un nombre limité de « vedettes » ou de stars. Dans le même ordre d’idée, leurs observations permettent d’affirmer que la consommation délinéarisée de la télévision est fortement synchronisée et proportionnelle au succès des agendas et émissions télévisuelles à proprement parler. Globalement, un phénomène de longue traine est constaté avec une concentration des audiences sur les émissions phares et la survie des productions de niche.

Les pratiques culturelles des amateurs ont aussi explosé avec ce que nos 3 auteurs définissent comme l’auto-publication, YouTube en ligne de mire. Ils indiquent qu’elle permet de faciliter l’échange avec des pairs mais qu’à contrario, la professionnalisation reste difficile car elle nécessite toujours le passage par des intermédiaires professionnels. Avec la dématérialisation des œuvres qui amène forcément une plus grande circulation de celles-ci, la transformation numérique peut-elle de ce fait contribuer à la démocratisation de la culture ? La réponse est à nouveau toute en nuances.

Internet et démocratie vont-ils si bien ensemble ?

Jusqu’à peu, les auteurs soulignent le fait qu’Internet était vu comme un moyen de revitaliser la démocratie avec notamment le Printemps Arabe, MeToo, ou encore les gilets jaunes comme exemples concrets. Cependant, le vote du Brexit en Grande-Bretagne ou encore l’élection de Trump aux USA ont clairement montré comment la technologie digitale peut avoir un impact désastreux sur nos démocraties.

Nos 3 auteurs constatent que la loi de puissance s’applique également à ce sujet, la plupart des études montrant qu’un petit nombre de contributeurs sont à l’origine de la majorité des contributions. En outre, si on ajoute à cette réflexion la constatation objective de la recrudescence des « Fake News » comme on les appelle, les auteurs n’hésitent pas à conclure par ceci « …l’élargissement du débat public est loin d’être mécanique et univoque. Il apparaît plutôt limité, inégalitaire et sujet à la propagande et aux manipulations. »

Des études récentes ont d’ailleurs montré que sur Facebook, l’exposition à des contenus politiques différents des vôtres est très limité. Essentiellement dû au réseau d’amis, les individus ont tendance à n’accepter comme ami que des personnes dont ils partagent les orientations politiques. Donc pour répondre à la question initiale, si elle est tout de même à nuancer, la réponse des auteurs est qu’il ne suffit pas qu’Internet et/ou les réseaux sociaux puissent contribuer à l’émergence de mobilisations pour que les sociétés deviennent forcément plus démocratiques.

Internet et le journalisme (en ligne ou pas)

Ce n’est secret pour personne, Internet a fait en sorte que de puissantes entreprises émergent en faisant du traitement de l’information leur cœur du métier. Avec ce phénomène, les pratiques journalistiques ont, elles aussi, évolué comme le constatent les auteurs.

De nos jours, le journalisme est devenu un métier « assis » où les cycles de production de contenus se sont accélérés. Les rédactions publient en continu toute la journée parce que les journalistes pensent que le consommateur en ligne souhaite de nouveaux contenus à chaque consultation. D’assis, le journalisme en devient parfois même « de seconde main », en republiant des informations provenant de sources diverses, dont les agences de presse.

Le journalisme citoyen est apparu partout dans le monde, avec des sites d’informations qui recueillent les contenus provenant de contributeurs non-professionnels pour les publier. Si les études de ces contributeurs montrent des profils proches des journalistes en terme de niveau d’étude notamment, la production d’information non-journalistique recueille encore un faible « pouvoir » et un faible accès à l’audience en raison de la mise en forme qui reste l’apanage des journalistes professionnels.

Les 3 auteurs notent également un conflit méthodologique (on y revient) entre les journalistes qui produisent des contenus de médias online et leurs collègues directs qui assurent le référencement en SEO des pages du journal. Les journalistes considèrent qu’il y a une mise en danger de la liberté et/ou de l’indépendance éditoriale au profit du « lectorat pour le simple lectorat ».

Les relations marchandes sur Internet – Commerce versus e-commerce

Non 3 auteurs s’arrêtent longuement sur la question de l’importance des éléments permettant de construire une confiance en ligne. Par ce questionnement, ils se rapprochent d’ailleurs d’une étude publiée sur ce blog et qui détaille la manière dont l’intuition et le risque cohabitent pour différents profils de consommateurs comme les cartésiens ou les impulsifs. Selon les auteurs, la mise en place de système de confiance explicite ne nuit cependant pas à la confiance implicite.

Dans un autre ordre d’idée, toujours selon nos auteurs, la mise en place de systèmes d’évaluations sert à la formation du choix des consommateurs en ligne. Et ce, même si 20% des participants formulent à eux-seuls 50% des avis. Avec une plus grande maitrise de la situation d’achat et une moindre dépendance aux dispositifs commerciaux, les e-consommateurs seraient donc mieux informés.

Conclusion et avis

Contrairement à ce qu’annonçaient les prophéties aux débuts des années 2000, l’arrivée d’Internet n’a pas vraiment contribué à créer une « nouvelle économie » comme l’indiquent nos 3 experts et auteurs. Tout simplement car on constate à la fois une désintermédiation et une ré-intermédiation du marché, où eBay et Amazon, par exemples, sont des variantes transformées de l’intermédiation avec une approche désormais mondiale où le gagnant emporte tout (Winner Takes it All!).

Certes, si un modèle de production par les masses apparaît, elle est contrôlée par une très faible fraction des contributeurs avec des caractéristiques socio-économiques précises (plus jeune et plus diplômée que la moyenne). Par contre, une forme de « plateformisation » de l’économie apparaît avec Uber, Vinted, et autres. Doit-on dès lors parler d’économie de partage, d’économie collaborative ou de capitalisme de plateforme ? Ces échanges sont à la fois plus économiques, même parfois plus écologiques, et ils contribuent certainement au lien social. Cependant, comme nous l’avons vu, certains profitent du travail des autres dans des « flexy jobs ». Serait-ce, au sens marxien du terme dans certains cas, une nouvelle forme de capitalisme et d’exploitation de l’homme par l’homme… ? Le débat est plus que jamais ouvert.

Dans tous les cas, merci à nos sociologues d’Internet pour cet éclairage propre à notre média favori, par le biais de cet ouvrage complet et qui offre une analyse toute en nuances, qui a pour vocation de nous rendre plus vigilant dans nos choix au quotidien.

 

Christian Janfils

L'auteur

Bastien Pignolet, Community manager The Right MoveBastien Pignolet

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