Nous avons lu ce livre de Wijnand Jongen, qui est une personne phare de l’e-commerce mais aussi du retail aux Pays-Bas depuis un bon moment. Wijnand Jongen fut à l’origine des premiers comparateurs de prix en ligne aux Pays-Bas, puis créa « Thuiswinkel » en 2000, une association de défense des e-commerçants. Il occupe désormais une chaire à l’Erasmus Universiteit de Rotterdam, où il enseigne l’e-marketing et la vente à distance.
Après trois ans de préparation, Jongen sort enfin ce livre sur l’avenir du retail et de l’e-commerce. Et force est de constater qu’il s’avère très inspirant, et ce très vite, non seulement de par la réflexion quasi académique sous-tendue tout au long des écrits, mais surtout par la ou les réflexions qu’il peut suggérer chez tout entrepreneur ou retailer à un moment charnière de leur activité. En tout cas, peu importe le temps que cela prendra, ce que Wijnand Jongen décrit va inévitablement apparaître…
Une communauté désormais « onlife »
Le néologisme « onlife » vient du philosophe italien Luciano Floridi, qui l’a introduit en 2012 lors de son discours au « think-thank » de la Commission européenne sur la révolution numérique. Selon lui, dans ses conclusions, le distingo entre « online » et « life » s’étiole et va progressivement disparaître. La rencontre du « life » (analogique) et du « online » (numérique) va donc créer l’« onlife ». Wijnand Jongen reprend ce concept et revisite les dernières évolutions pour confirmer le changement de paradigme. On comprend alors mieux le titre provocateur de la « mort du commerce électronique » pour céder la place à de nouveaux modes de consommation, combinant expériences de clients online et in situ, en magasin. A travers une vue prospective, il revisite, comme d’autres auteurs, l’Internet des objets, la ville et les magasins connectés, la réalité augmentée, l’intelligence artificielle et les effets de ces technologies sur la vie du retail.
L’ouvrage nous présente cependant un client « onlife » sous une nouvelle lumière, notamment celle de l’économie de partage où la propriété a cédé la place à l’usage mutualisé. Le secteur du retail va devoir impérativement adresser des besoins différenciés pour le client onlife qui souhaite s’inscrire dans le circuit court et l’économie de partage, y compris la seconde main. Poussé à l’extrême, le retail va aussi devoir tenir compte du consommateur-producteur (appelé le « prosumer », terme inventé dès 1980 par Alvin Toffler). Le commerce devra impérativement devenir « durable » dans une économie circulaire et de partage. De quoi réfléchir et, déjà ici, nous inspirer toutes et tous. Jongen cite J.R. Immelt, le CEO de General Electric, qui indique que l’entreprise qui voudra être une bonne entreprise est celle qui fera le « bien ». Pour Jongen, le « bien » dans le retail est incarné par cette stratégie onlife durable dans une économie partagée. Avec bien sûr tous les impacts imaginables sur le transport et les emballages.
Le consommateur « onlife » tout puissant
Wijnand Jongen décrit et segmente les clients « onlife » en quatre catégories : L’acheteur « onlife » passionné (pour qui faire ses courses est une occupation plus qu’agréable), réfléchi (qui voit ses achats comme un sport), calculateur (qui fait très attention à ses dépenses), et enfin passif (pour qui faire ses courses est un besoin comme un autre).
Pour ces différentes catégories d’acheteurs, Jongen a retenu cinq étapes dans la démarche commerciale du parcours client. Ces étapes sont : l’orientation, la sélection, la transaction, la livraison et le SAV. Pour chacune de ces étapes, il décrit dans le passé, le présent, et dans un monde « onlife », les outils et actions qui se présentent dans chacune des cinq étapes. Si elles s’avèrent classiques, leur revisite dans le contexte « onlife » peut néanmoins générer de très nombreuses idées chez tout retailer ou e-commerçant. Cette partie du bouquin est un véritable bonheur pour tout marketeer avide de connaissances.
Pour en finir avec cette partie, il est bon de préciser que le client « onlife » achète principalement dans des commerces où :
- Il est à son aise et ne fournit pas plus d’effort pour son shopping qu’il ne veut ou ne peut en fournir (ergonomie en ligne, aménagement de magasin, reconnaissance du client et de ses habitudes, etc…)
- Il a le choix et où il est bien conseillé (reconnaissance du client, parfaite connaissance des produits par le retailer, etc…)
- Les prix sont désormais ceux de l’économie de partage, cette dernière exerçant une pression significative à la baisse pour que l’achat soit dévalorisé versus la réutilisation, peu importe la forme
- Le client a une expérience d’achat, inspirant tous les sens du consommateur
- Le service est présent, qu’il soit avant la vente, pendant l’installation ou lors du SAV
- Il règne une confiance et une transparence absolues entre le retailer et le client
Quelle stratégie pour le Retail ?
Pour commencer, tout entrepreneur dans le milieu du retail se situe automatiquement dans les circonstances du dilemme du prisonnier, un cas en économie de la théorie des jeux conçu par Albert W. Tucker, professeur à l’Université de Princeton. En interprétant ce cas, le retailer local (à savoir la plupart de nos PME wallonnes ou belges) s’interroge sur la décision de passer à l’« onlife » ou pas, comme celle de décider de vendre sur des places de marché comme Amazon où cette même place de marché est potentiellement son propre concurrent.
De toute manière, pour Wijnand Jongen, l’économie est mondialisée et le commerce local devra s’inscrire dans ce contexte pour survivre et trouver sa place. Quelques acteurs, comme Amazon, eBay, Google ou encore Facebook ont inévitablement pu se positionner de façon importante, et ainsi prendre des positions dominantes. La raison principale de leur succès est d’avoir été avant tout des entreprises technologiques, citant J. Bezos : « Amazon est une entreprise technologique, il se fait que nous faisons du commerce ». Ces entreprises ont pu bénéficier au maximum de l’économie des réseaux (Internet) et des effets d’économie d’échelle qu’elles ont pu mettre à leur profit.
A contrario, et c’est une approche intéressante dans le contexte actuel, y compris en matière de privacy versus la valeur commerciale de l’information collectée, Jongen cite les travaux du Parlement européen de 2014 sur le démantèlement possible des géants du net en raison de leur position dominante.
Enfin, Wijnand Jongen revisite les stratégies commerciales des entreprises actuelles, sous des formes en cours de mutation comme « le marché et ses différentes facettes », le « retailer entrepôt », le « retailer spécialiste » et les « marques » dans leurs nouvelles activités de commerce en direct ou non.
Il termine alors son propre voyage dans le futur du commerce « onlife » en proposant une vision du marché du travail pour le retail et des possibilités d’intervention laissées ou non aux autorités publiques. On revient alors au dilemme du prisonnier qui est ainsi revisité dans le chef du patron d’un commerce indépendant ou d’une chaine commerciale locale indépendante, comme aux Pays-Bas ou en Belgique. C’est ainsi qu’il explique notamment l’apparition de coolblue.be ou de bol.com.
Côté secteur public et rayon plus politique, l’auteur cite Jeremy Rifkin qui prévoit la fin du capitalisme en raison d’une économie collaborative numérique, mais aussi l’intéressant livre d’Andrew Keen « Internet is not the answer », qui dépeint une vision négative d’internet et de la relation dominante de ces acteurs versus les employés et les consommateurs. Une réflexion différente, plus philosophique, que nous mettrions volontiers en concurrence avec le vieil ouvrage de Joseph Schumpeter « Capitalisme, socialisme et démocratie » où un peu comme Marx, la concentration du pouvoir économique aux mains de très peu d’acteurs signifie la fin de la concurrence, la mutation du capitalisme, et son fonctionnement intrinsèque dans une nouvelle organisation de la société.
Un autre débat intéressant, qui amènera sans aucun doute de nombreux articles à venir pour ce blog…
L’avis de The Right Move
En conclusion, et comme vous l’aurez compris, nous recommandons vivement la lecture de ce livre aussi bien inspirant que nécessaire. Probablement le recueil le plus complet que nous ayons pu consulter depuis de nombreuses années !
Un ouvrage extrêmement riche, que tout commerçant wallon qui ne souhaite pas subir le digital devrait mettre sur sa table de chevet ou, mieux encore, sur son bureau.
Christian Janfils
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